Vive l'oppression
Il faut savoir que beaucoup de Libanais(es) ne se sont mis(es) à s'intéresser à la "politique" qu'en Mars 2005. Rafiq Hariri, l'ami séoudien des "occidentaux", trait d'union de la double tutelle séoudienne-syrienne sur le Liban avait été tué parce que devenu inutile, et les médias du monde entier se régalaient de manifs et de drapeaux décolletés tricolores libanais. Une grande partie de ces néo-illuminés sont des femmes, et ces Libanaises-là, contrairement à ce qui est voulu dans les reportages de la machine médiatique globale, ne s'étaient jamais entraîné le neurone quant à la politique, sauf si l'on veut considérer les rares occasions où elles écoutaient leurs pères et leurs maris se plaindre de tel politicien corrompu ou telle condition de vie, justement invivable. Permettez-moi de caricaturer, pour le plaisir de l'imagination, une conversation entre deux petites bourgeoises chrétiennes qui se retrouvent un mardi matin (lundi 'y a le ménage) autour d'un café turc gentiment préparé par "la fille" (la domestique de maison).
Mais tout d'abord, il s'agit de vous présenter les personnages et les circonstances de leur rencontre, dans ce qui aurait pu être un article de l'AFP repris dans l'Orient-LeJour.
La première femme, Jeanette, que l'on surnomme Jeannouta (elle trouve ça drôle puisque c'est vulgus et ça ne lui va pas), n'a jamais été très intelligente. Mais son fils lui, yokborné, il est premier de classe à l'AUB. Son mari travaille toute la journée, ce qui lui laisse amplement le temps de siroter un café par jour chez chacune de la douzaine de voisines qui habitent l'immeuble. Elle n'a jamais trop bien compris ce qu'il travaillait, son mari, mais elle ne trouve pas ça nécessaire, n'est-ce pas, tant que ça paye "la fille", les voitures et l'éducation du petit Einstein.
A côté (de la plaque), je vous présente Aurore. Malgré un prénom poétique qui ferait mourir de jalousie les chanteuses de variétés françaises, Aurore, elle, n'a ni le sens de la poésie, ni de quoi être enviée. Mais ceci, elle ne le sait pas. Déjà qu'elle roule les R de son prénom quand elle se présente, et en plus, pour elle, il suffit de se teindre, que dis-je, de se décaper les cheveux et de se gonfler au botox pour ne plus s'inquiéter de son appeal. Contrairement à Jeanette, elle passe ses après-midi à la boutique (elle vend des coli-fait-chier qu'elle rapporte de Milan et fait passer pour des bijoux rares), ce qui lui laisse les avant-midi libres, de quoi se refaire une jeunesse "au club" et passer chez sa copine voir les nouveaux rideaux.
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Jeanette et Aurore se sont rencontrées durant la manif du 14 mars 2005. C'était un lundi ensoleillé aux airs de printemps, une journée parfaite pour aérer la maison et siroter le café sur la terrasse. Mais Aurore ne pouvait pas rester chez elle. La patrie avait besoin d'elle et, surtout, les centaines de journalistes français et américains (pour elle, un journaliste étranger est nécessairement intello; elle aime) n'attendaient plus qu'elle pour commencer leurs reportages sur le souffle de démocratie qui caresse les poitrines de ces jolies libanaises libérées. Parce que, en fin de compte, il était "temps que les occidentaux réalisent que nous, les Libanais, nous sommes des gens civilisés, ouverts et modernes". Décapées, botoxées et shootés au Xanax.
Il était déjà 14 heures et Aurore n'en pouvait plus. Elle n' était pas seulement épuisée de marcher en talons pour se faire voir de tous les côtés de la manif (elle appelle ça des "longueurs", comme à la piscine du club), mais en plus, aucun journaliste n' était venu lui demander son avis sur qui sont les criminels et qui sont les gentils qui veulent vivre en paix à Eddé Sands. Elle décida finalement de laisser tomber sa mission de se faire broadcaster sur les télévisions du monde entier, et se dirigea vers la boulangerie "chez Paul" à quelques longueurs de là. Mais une fois arrivée, elle eut le malheur de réaliser que toutes les tables étaient prises. Vous devinez un peu le style, Aurore tenta de soudoyer le serveur avec deux dollars ("eh ça leur suffit, qu'est-ce que tu crois?") pour qu'il lui "débrouille" une table, avec vue sur la manif de préférence. C'est là qu'une gentille femme, un peu trapue mais bien sapée, lui offrit de s'installer à sa table, lui expliquant que dans de telles circonstances, c'était son devoir de faire preuve d'un minimum de solidarité nationale et de lui offrir une place à sa table qui était, en tout cas, trop grande pour elle et son mari seuls.
Et ce fut le début d'une amitié solide.
Deux ans plus tard. Deux heures plus tôt. Aurore a déjà fini sa tasse et demande à Jeanette si elle avait acheté les nouveaux rideaux en soldes. Question oratoire puisque, dans tous les cas, la réponse est la même, les soldes étant pour celles qui lésinent sur la qualité, la populace quoi. Ensuite, ça passe à la politique. A défaut de potins "mondanité" ('y en marre des mêmes chanteuses tout le temps) et d'emplois à temps plein, la "politique" est devenu le sujet de conversation de choix des mégères libanaises. "Tu les as vus aux nouvelles hier ? Nyaak !".
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Jeannouta et Aurore font partie de ce genre de femmes qui, aveuglées par les apparences, se plaisent à écouter les démagogues libanais les plus riches, et parfois les plus sanguinaires (ça les excite?), et les plus en vogue dans la presse propagande occidentale et pro-séoudienne. "La barbiche ? Ca ne m'a jamais gêné." Jeanette est convaincue que si elle pouvait se balader tranquillement au centre-ville de Beyrouth (même si elle ne l'a fait qu'une seule fois en six ans), c'est bien grâce à la générosité de feu Hariri, son altruisme et son amour pour le Liban. Aurore ne la contredit pas. D'ailleurs "les chiites sont jaloux et veulent ruiner le centre-ville". "Qu'est-ce qu'ils viennent faire avec leur arguilés et leur mobylettes ? Ils veulent combattre Israël d'ici ?"
Jeanette est d'accord. Le centre-ville, dont l'architecture a été conçue par Siniora même (un vrai homme d'état, a-t-elle lu dans l'Orient-LeJour), n'est pas fait pour les chiites. Ils sont pauvres et pas civilisés. "Comment veux-tu qu'on vive avec eux ?"
Aurore fait son possible pour garder son calme. Mais quand elle pense que d'ici quelques années, les chiites seront largement majoritaires et l'obligeront à porter le voile, elle éclate. "Je préfère mourir que porter le voile." Avant 2005, elle n'avait jamais remarqué de différence antre chiites, sunnites et druzes. Pour elle, c'était les musulmans. Mais maintenant, d'après ce qu'elle voit sur la LBC, les sunnites ont l'air d'être bien plus sympa. Déjà que les Séoudiens font tout leur possible pour le bien-être des Libanais ("Ils nous aiment, ils aiment venir chez nous en été"), et les Syriens, méchants c'est écrit dans leur gênes, ne veulent que notre perte. Soughiya badda tekhghoub el balad se dit-elle ("La Syrie veut détruire le pays"). L'Irak? C'est la faute aux Irakiens. Les Israéliens et les Palestiniens, eux, ont fait leur chemin hors du discours politique des Libanais(es) moyen(nes). Qui veut discuter de nouveaux vieux problèmes?
Etant toutes les deux partisanes de la vision manichéenne de la doctrine Bush post-Nayn-Ilèveun, et tout comme dans les films de Hollywood (qu'elles considèrent comme véhicule essentiel de culture et de "civilisation"), le monde de la géopolitique c'est des gentils et des méchants. "Bien sûr, les Américains ne nous soutiennent pas pour nos beaux yeux. Haha, chou ils n'ont que ça à faire ? Ils veulent répandre la démocratie et la liberté. Et ça se trouve qu'ils commencent par nous."
Jeanette et Aurore sont convaincues que Chirac, parce qu'il est Français et éloquent, est un grand homme. Affaire Clearstream ? Jamais lu. Amitiés avec dictateurs Irakiens et Séoudiens ? Que nenni. Si c'est pas à la télé, c'est que c'est pas vrai. Amour platonique avec les Hariri ? Et alors, c'est bien pour le Liban ! Après tout, reprend Jeanette, "nos ancêtres les phéniciens ont inventé l'alphabet et l'ont exporté au monde entier, et les Marseillais ont appris à faire du savon grâce aux croisés qui, eux, l'ont appris des Libanais". Ils nous doivent bien toute cette attention, les Français !
La conversation se réchauffe quand Aurore lui demande si le mari de MaRie, la voisine, "est toujours Aouniste". "Ma3'oul ? A quoi il pense ? Il n'aime pas la vie ?" Les voisins sont toujours difficiles à comprendre. Jeannoute chuchote, "Il paraît qu'il était communiste". "Yiiiii, moi les athés me font peur !" Et, sous-estimant la simplicité de son interlocutrice, elle continue: "Comment peut-on vivre en bon citoyen si on ne craint pas Dieu ?" Le silence s'impose.
Mesdames et Messieurs, ceci fut un épisode de la vie de Jeanette et Aurore. Un échantillon représentatif d'une large portion de la matière (très) grise libanaise qui se porte garante de mener à bout la "révolution" commencée en Mars 2005.. A bas la révolution. Vive l'oppression !
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Hariri: Famille libano-séoudienne pratiquement au pouvoir au Liban depuis 1992, et partiellement responsable de 45 milliards de dollars de dettes. Détient une grande part des richesses du Liban, le centre-ville reconstruit de Beyrouth inclus. Rafiq fut assassiné en février 2005 pour laisser place à son fils à la barbiche.
L'Orient-LeJour: Quotidien élitiste miroir de la (très extrême) droite chrétienne. Des gens stériles qui croient que eux seuls détiennent la vérité et le droit à (aimer) la vie.
AUB: American University of Beirut. Où tous les fils de toutes les mères sont premiers de classe.
Eddé Sands: Plage de sable hip où, les dimanches, il faut avoir une belle bagnole pour être "admis".
Siniora: Premier ministre actuel au rictus buccal diagonal. Trésorier de la dynastie Hariri.
LBC: Lebanese Broadcasting Corp. Filière libano-chrétienne des média tv Séoudiens; porte-parole de l'extrême-droite chrétienne (l'ex-milice des "forces libanaises").
Général Aoun: Chef d'un parti laïque qui, face aux campagnes féroces chargées de le discréditer, peine à rester majoritaire chez les chrétiens. Aouniste: Supporter (généralement [sic] aveugle) de Aoun.
Disclaimer. Le choix de femmes pour la caricature n'a pas d'intentions macho ou sexiste; les hommes sont encore plus manipulés et plus réactionnaires que leurs femmes.
Labels: Bien de chez nous, fiction, l'amérique, l'orient-lejour, politique
16 réactions:
je suis sure ke saad hariri, chake jour avant de dormir insulte son pere, walid, etc... parcequil ne comprend pas ce kil fait dans ce post, dans ce pays, alors kil se tappait des meufs, du pognions etc... avant tout ca...
sinon le martyre Rafic Hariri , sil sort de sa tombe, il aimerai bien enterrer son fils...
et va comprendre...
:)))
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Phil, I have one word for you: RAHIB! I had to stop reading twice because i was laughing too hard...
PS: You forgot to mention Jeano as another nickname for Jeanette!
Walla Los AngelOs shta2etlak...
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Ah w 3afekra: bi2oulo une journee mesh un journee (save the accents)
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shrrr > très vrai.
The dude > Dude chou fakkaret fiik ana w 3ambektoub. and thanks for pointing out the typô (accents are very dear to me).
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AHLA JEANO AHLA
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hmm
Tu sembles oublier de donner une description de Joumblat a la fin de ton post
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boumb > C'est que j'omets volontairement de le citer dans le texte. Mais j'essaierai de l'inclure dans la prochaine.
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phil, chek terroristporno
excellent post, ans itll be in lorient le jour in french on the 18th of this month.
enjoy
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shrrrorist(c) > thanks for the -relevant- link. mais le 18 mars est un dimanche.
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hahahahaah trop fort hahaha, enu shi heik, je me rappel plus tres bien hahahahahahahahha :)))
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phil: so meticulous and da2i2 as usual!!! Inno haram marre2la yeha la shrrr...
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hehe thx :)))
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the dude > rou7 jaggil 'eddem baytak.
shrrr > rou7é 3melé heheyétik 'eddem bayto.
chou féte7lkoun online dating service ana? ba3dén vous êtes tous les deux pris. je ne vois pas l'intérêt :|
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Phil: Awwal shi 3youne ana mesh pris. Tene shi shou beddak fina??? nehna mabsoutin be ba3d
shrrr: dhake add ma beddik shou beddik fi???
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Au boulot ce matin, mon boss: "Wow, tu es matinale! La journée appartient aux gens qui se lèvent tôt!".
Je pense qu'il n'a pas compris ma nouvelle motivation, presque insensé, d’être au bureau aussi tôt ! Donc, si tu continues à « updater » ton blog fréquemment, j’ai de très forte chance d’avoir une augmentation à la fin du mois !!
Missssi ;o)
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anonymous > Je relève une gentille commission de trente pour cent.
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